Il y a des jours comme ça où la flemme nous tombe dessus, et ne veut plus nous lâcher. On marche alors au ralenti, notre petit cerveau a du mal à se réveiller, et la moindre demande d'effort agace au plus haut point. Pour une fois, j'avais envie de me promener plutôt que de m'écrouler dans un coin pour dormir le reste de la journée. L'odeur de cerf titillait mes narines dilatées, mais on m'avait dit et répété qu'il était dangereux de les chasser. Saloperies de bêtes. Enfin, de toutes façons, j'aurais pas fais un pas si un lièvre aveugle et estropié était venu dormir sur mes pattes. C'était une journée de... d'exploration, tiens. C'est vrai, c'était la première fois depuis mon arrivée dans la Grande meute que je visitais cette partie de l'immense King. Traînant des pattes, la tête basse tant elle me semblait lourde - et, pourtant, dieu sait qu'il n'y a pas grand-chose dedans - j'errais sans but précis dans le bois. Je voyais un peu partout des traces de cornes sur l'écorce des arbres. C'était certainement la façon des cerfs pour marquer leurs territoires.
Sploutch. Eeeeeeet crotte. J'avais marché dans une vieille flaque d'eau. Je m'assis, énervée, et entrepris de lécher ma patte, avant de laper quelques gorgées. Heureusement pour moi, mon corps était capable de transformer cette eau croupie et boueuse en eau utile pour le bon fonctionnement de tout cet appareillage. Il m'arrivait parfois d'observer mon corps, et de le trouver étonnamment bizarre. Enfin, encore est-il qu'il marche bien. C'est tout ce qui compte.
J'aperçus soudain une forme entre les buissons. Je reconnus immédiatement l'odeur que m'apporta le vent.
« Tiens donc, le Grand Commandant Je-Sais-Tout des Purs raaaace ! » Raillai-je, accentuant mes mots dans l'espoir d'énerver Lucio. Je connaissais ce chien pour l'avoir détesté dès le premier jour. Un grognement sourd me répondit.

Lucio était parti en compagnie d'Inouk plus tôt dans la journée, ils s'étaient entraînés pendant plusieurs heures, et finalement le chien des neiges avait permis au jeune labrador de se détendre et de retourner au camp.
À présent, le rouquin vagabondait sur le territoire de l'ouest, à la recherche d'une quelconque source de distraction. Il voulut donc se rendre au passage des chèvres, histoire de faire une petite course et tester son agilité, mais pour cela, il devait avant tout traverser le bois des cerfs. C'était un endroit que le jeune mâle détestait tout particulièrement depuis qu'il s'était violemment fait percuter par un cerf lors d'une de ses courses. Cependant, cet incident lui avait permis de faire la connaissance de Napol, la journée n'avait donc pas été vaine.
Le groenlandais entra donc dans l'immense foret. Il marchait, évitant les racines traîtresses des arbres, et faisant craquer les brindilles sous son poids. Il entendit vaguement un bruit d'eau, et continua sa traverser, avançant vers l'origine du bruit. Alors qu'il passait un buisson, une voix qu'il ne connaissait que trop bien atteint ses oreilles.

« Tiens donc, le Grand Commandant Je-Sais-Tout des Purs raaaace ! » Lui lança Qaaïk, railleuse.

Un long grognement s'échappa de la gorge du rouquin. De tous les chiens que pouvait compter King, il fallait évidemment qu'il tombe sur celui qu'il ne voulait absolument pas voir. Il s'approcha en soupirant, sachant d'avance que cette conversation allait mal finir. Lucio leva la tête et observa la chienne noire, elle se tenait près d'une flaque et avait la patte et l'épaule droite tremper. Un sourire vicieux se dessina alors sur son visage et il lui lança d'une voix hautaine, confirmant également la citation précédente de la chienne.

- Bien le bonjour Qaa' je vois que tu as profité du beau temps pour faire trempette !

« Bien le bonjour Qaa' je vois que tu as profité du beau temps pour faire trempette ! »
Son ton était sans surprise hautain. Il n'y avait pas besoin de passer beaucoup de temps en sa compagnie pour savoir que ce canidé était totalement égocentrique. Tu veux jouer au plus malin, l'ami ?
« Ouais, tu devrais essayer de temps en temps. Ça détend ! »
Avec un regard presque vicieux, je fis quelques pas en arrière. Le voyant esquisser une approche, je pris un peu plus d'élan et me jetai littéralement dans la flaque d'eau vaseuse. Ce qui devait arriver arriva ; mes pattes furent aussitôt recouvertes d'une boue verte tendit que l'eau projetée arrivait à sa hauteur. Je me délectai des gouttes puantes qui atterrissaient déjà sur son pelage soigné. Je me secouai, la queue battante, les yeux pétillants. « Tu vois ! Ça rafraîchit hein ? »
Un rire moqueur sortit de ma gorge, accentué par son regard outré. Je me faisais l'effet d'un sale gosse, mais c'était si satisfaisant que je ne me m'attardai pas sur mon immaturité. De toutes façons, je m'étais toujours dit qu'il fallait garder une âme de chiot. Sans ça, on vieillit et meurt dans l'ennui.